jeudi 3 mars 2011

Archéologie, nucléaire et créativité

L'archéologie est une science essentiellement pertinente pour comprendre l'histoire et la préhistoire humaine. Pourtant, il arrive qu'elle trouve des applications technologiques parfaitement modernes.

Assurer la sécurité de l'entreposage sur des milliers d'années

Le stockage des déchets nucléaires est une problématique de très long terme. En effet, la durée de vie de certains atomes faiblement radioactifs est gigantesque (parfois plusieurs dizaines de milliers d'années), et comme ces atomes peuvent engendrer par leur désintégration des atomes nettement plus radioactifs, cela signifie qu'un déchet nucléaire peut présenter un danger sur des durées similaires.
Il faut donc trouver une solution de stockage qui soit particulièrement durable. C'est pourquoi l'Agence Nationale de gestion des Déchets RAdioactifs (ANDRA) a imaginé un système de stockage multi-barrières. Il s'agit d'un système gigogne (c'est-à-dire comme des poupées russes) de plusieurs barrières évitant aux déchets radioactifs de quitter le système. Il y a successivement :
  • le colis vitrifié : les déchets sont incorporés à une matrice en verre spécial, qui joue un rôle de barrière à la migration des atomes radioactifs ;
  • un conteneur en acier inox, dont le rôle est de sécuriser la manipulation des colis lors de l'entreposage ;
  • un surconteneur en acier faiblement allié, qui sert à éviter que de l'eau accède aux colis pendant 1 000 à 10 000 ans ;
  • une barrière ouvragée en argile gonflante, peu perméable à l'eau et qui retient les ions issus de la corrosion des conteneurs métalliques ;
  • et enfin le milieu géologique de stockage.
Pour assurer la durée de vie de 10 000 ans du surconteneur, on ne peut se contenter d'études de corrosion sur quelques années ou dizaines d'années. Or les données expérimentales sur la plupart des alliages métalliques datent des deux derniers siècles, dans la mesure où ils n'existaient pas avant.

Il existe des techniques permettant d'accélérer artificiellement le vieillissement d'un métal, mais ces techniques ne permettent pas de multiplier la vitesse par 100 ou 1 000 avec l'assurance d'obtenir des résultats pertinents.
De même, la simulation numérique permet d'accéder à des durées similaires à celles du stockage, mais on ne dispose pas d'un recul suffisant pour valider une telle approche, d'autant que la simulation métallurgique reste complexe et pas parfaitement maîtrisée.
Comment faire pour disposer d'un recul suffisant ?

L'archéologie à la rescousse

L'ANDRA a été créative pour débloquer la situation. Elle a fait en quelque sorte usage de la technique de la baguette magique, qui consiste à oublier pendant un instant les contraintes du problèmes, comme si on disposait d'un pouvoir magique, pour imaginer la solution. Voici en substance son raisonnement.
La contrainte majeure est le temps de recul dont on dispose. Supposons que, d'un coup de baguette magique, on dispose d'un tel recul.
Par exemple, si un expérimentateur de l'Antiquité, particulièrement visionnaire et anticipateur, avait entreposé une batterie d'alliages métalliques sous terre, les données expérimentales seraient disponibles aujourd'hui.
Bien sûr, un tel expérimentateur n'existe pas, mais ce qu'il aurait fait s'il avait existé, c'est de placer des objets métalliques pendant des centaines ou des milliers d'années dans la terre. Or on trouve de tels objets en faisant des fouilles archéologiques. Peut-on se servir d'objets archéologiques pour choisir des alliages qui se corrodent peu sur des milliers d'années ?
La réponse est positive. On pourra par exemple consulter la thèse de doctorat de Delphine Neff pour en savoir plus : http://iramis.cea.fr/lps/TheseNeff/indexneff.htm
Ce travail est une médiation technique originale entre deux domaines très différents, l'industrie nucléaire et l'archéologie.

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