Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie. Et si on ne la risque pas, on ne vit pas. (Amélie Nothomb)Certaines entreprises sont plus innovantes que d'autres, même dans un secteur d'activité donné. Comment ces entreprises gèrent-elles la prise de risque liée à l'activité innovante ?
Le risque, frein important à l'innovation
Dans une entreprise, les activités peuvent se répartir en deux classes : les activités récurrentes et les activités exceptionnelles.
Les premières sont typiquement des activités permettant à l'entreprise de fonctionner aujourd'hui (production, force de vente, gestion...), alors que les secondes visent à modifier le fonctionnement actuel; que ce soit pour s'adapter à une situation nouvelle (elle est subie) ou pour en générer une (elle est provoquée).
Dans tous les cas, les activités exceptionnelles peuvent se décrire comme des projets, avec un objectif clair, une date d'achèvement prévue et des moyens identifiés.
Quand le projet correspond à une situation subie (nouvelle réglementation, demande exotique d'un client important, réponse à une nouvelle menace d'un concurrent...), le projet est quasi-obligatoire et la décision de le lancer est naturelle.
Par contre, lorsque rien n'oblige l'entreprise à modifier sa situation actuelle, c'est-à-dire essentiellement à innover, la décision de lancer un projet est plus délicate à cause du risque lié à ce projet. C'est ainsi que des projets prometteurs passent à la trappe en raison du risque jugé trop grand que le projet échoue.
Ce frein à l'innovation que constitue le risque peut être géré, dès lors qu'une stratégie adéquate est mise en place.
Mutualiser les risques
Un médiateur technique à qui un client demanderait de trouver un expert en gestion du risque pourrait fort logiquement prendre contact avec des entreprises d'assurance. En effet, c'est bien le métier de l'assureur que de prendre en charge les risques financiers de ses clients.
Or la technique de gestion des risques financiers de l'assureur est connue : elle consiste à mutualiser les risques.
Mutualisation et loi des grands nombres
Supposons qu'un assureur assure la maison de 100 particuliers, une maison coûtant 300 000 €, le risque de sinistre sur 20 ans étant de 5%. On peut s'attendre à ce qu'environ 5 maisons soient sinistrées en 20 ans, peut être 6 ou 7, mais la probabilité qu'il y ait 10 maisons (ou plus) sinistrées en 20 ans est extrêmement faible (je laisse le calcul en exercice aux amateurs de probabilités).
En pratique, l'assureur sait qu'il lui faudra rembourser moins de 10 fois 300 000 €, soit 3 M€. Il peut donc demander à chaque particulier une prime annuelle de 1 500 € en étant sûr de ne pas perdre d'argent (3 M€ divisé par 100 particuliers et divisé par 20 ans).
Chaque particulier échange donc un risque non négligeable de perdre 300 00 € contre 1 500 € par an. Et l'assureur va gagner en 20 ans une somme variable mais positive, et sans doute proche de 1,5 M€ (s'il y a exactement 5 maisons sinistrées en 20 ans).
Une première règle pour augmenter la capacité à innover d'une entreprise est donc de ne pas raisonner sur un seul projet, mais sur un portefeuille de projets.
Découper les gros projets
Il est clair qu'un grand groupe a plus de possibilités qu'une PME, dans la mesure où le nombre de projets y est forcément plus élevé et où la prise de risque diminue. Il est donc étonnant que de nombreux grands groupes industriels français encouragent si peu la prise de risque et l'innovation de la part de leurs équipes. Sans doute l'habitude de considérer le risque financier comme le risque d'accident : intolérable. Mais ce qui est bon pour la sécurité n'est pas bon pour l'innovation, et le risque financier n'est pas incompatible avec la sécurité.
Mais au niveau des PME, il reste toujours la possibilité de découper un gros projet en petits projets intermédiaires. L'important est que chaque projet intermédiaire se traduise par une espérance de gain substantiel, car sinon le découpage n'a aucun intérêt. Ainsi, Steve Jobs, le patron d'Apple (qui n'est plus une PME) n'a pas lancé le projet de ses rêves, l'iPad, immédiatement : il a commencé par lancer l'iPod (énorme succès commercial), puis l'iPhone (idem), et enfin l'iPad.
Et si on travaille sur des petits projets, demandant individuellement moins d'efforts, on peut les multiplier et se constituer un portefeuille assez grand pour mutualiser le risque. Même dans une PME.
Ne pas sur-évaluer le risque
Enfin, l'évaluation du risque est souvent faite de manière grossière et inadaptée à la gestion d'un portefeuille.
Ainsi, supposons qu'un projet ayant 30% de chances d'aboutir nécessite un investissement de 100 k€ et puisse rapporter 500 k€. Le risque maximal est évidemment de perdre les 100 k€, ce qui risque d'arriver avec une probabilité de 70%. C'est ce risque qui importe lorsqu'on n'a qu'un projet dans son portefeuille.
Toutefois, dans le cadre d'un portefeuille avec beaucoup de projets (disons, une bonne dizaine au minimum) et ou le risque est mutualisé, ce qui importe en premier lieu est l'espérance de gain (au sens de l'espérance mathématique des probabilités). Dans une telle situation, il faut additionner 70% de -100 k€ et 30% de 400 k€ (500 k€ - 100 k€) soit 50 k€. L'espérance de gain est positif, et le projet mérite d'être lancé.
Mais même cette méthode d'évaluation du risque est trop conservative. En effet, supposons que le projet ait 15% de chances d'aboutir. Le calcul précédent donne une espérance de gain de -25 k€, c'est-à-dire une perte. Mais on raisonne comme si la totalité de l'investissement était débloqué immédiatement et de manière définitive. En réalité, le chef de projet aura prévu des étapes (comme dans la méthode Stage-Gate), et à chacune des étapes il est censé :
- réduire le risque d'échec (sinon, on abandonne le projet)
- investir une partie du budget
- le projet échoue à atteindre l'objectif intermédiaire : l'investissement de 40 k€ est perdu (probabilité : 50%) ;
- le projet passe l'étape intermédiaire, mais échoue à l'étape finale : l'investissement de 100 k€ est perdu (probabilité : 85%-50% = 35%) ;
- ou le projet réussi et rapporte 400 k€ (probabilité : 15%).
Une telle analyse s'appelle l'analyse par les options réelles, méthode inspirée de la finance et des options (un autre outil de gestion des risques financiers). Son emploi est donc gage d'une meilleure gestion des risques, et donc d'une plus forte innovation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonjour,
je vous remercie de laisser un commentaire. Je vous invite à le signer de votre nom, ou éventuellement d'un pseudo, pour faciliter l'échange.
Bien à vous,
SG