Le monde a deux histoires : l'histoire de ses actes, celle que l'on grave dans le bronze, et l'histoire de ses pensées... (Georges Duhamel)L'histoire des techniques est une discipline encore récente. Jean Baudet, dans son ouvrage De l'outil à la machine, résume l'évolution des techniques depuis la préhistoire jusqu'à 1800.
Sa lecture est intéressante car elle illustre que certaines civilisations ont été bien plus innovantes que d'autres.
Petit résumé jusqu'au milieu du Moyen-Age.
Le Néolithique et la première révolution technique
Les progrès techniques de l'Homme pendant la préhistoire ont été relativement lents, jusqu'à il y a environ 10 000 ans. Dans une région du Proche-Orient, les conditions de vie sont favorables, et peuvent se sédentariser : il n'est plus nécessaire de chercher en permanence de la nourriture, et l'Homme dispose de temps libre.
Dès lors, le progrès technique connaît une forte accélération : l'agriculture, l'élevage, la construction en dur, la métallurgie ou encore la céramique sont inventées et exploitée. C'est ce que l'on appelle la révolution néolithique.
La Haute Antiquité et l'apparition des cités
Dans cette même région, la révolution néolithique a permis à la population de se multiplier : des peuplades s'organisent en cités : c'est l'urbanisation.
Les Mésopotamiens, puis les Égyptiens vont élaborer de nouvelles techniques : l'écriture, la comptabilité, ou encore la fabrication de nouveaux matériaux comme la brique ou le verre. D'autres civilisations à proximité introduisent des développements techniques, comme les Mycéniens et les Minoens (la navigation maritime), les Hittites (le fer et le forgeage, la cavalerie), ou encore les Phéniciens (l'alphabet).
Le génie grec
C'est la civilisation grecque qui porte alors le flambeau du progrès technique. Leurs inventions sont nombreuses, et les domaines techniques variés : construction navale (trirème), technique militaire (catapulte), construction (équerre, poulie), métallurgie (laiton)...
Les Grecs ont donc été une civilisation très fertile du point de vue technique. Qu'est-ce qui a favorisé cette fertilité ? Voici deux éléments de réponse qui me paraissent intéressants.
D'une part, les Grecs sont les premiers à écrire des traités techniques, le premier étant la Poliorcétique (l'art de de prendre et de défendre des villes) d’Énée le Tacticien ;
D'autre part, leur culture apprécie l'abstraction à travers la philosophie, les mathématiques, la théorie physique : Archimède est l'ingénieur grec le plus célèbre de cette période.
Le pragmatisme romain
Les Romains, peuple dominant le monde méditerranéen après l'apogée grecque, a une culture complètement différente. Moins portée sur l'abstraction, elle n'aborde les techniques que pour ce qu'elles permettent de faire.
Ainsi, l'ingénieur et architecte romain le plus célèbre, Vitruve, a rédigé un ouvrage, De Architectura, qui montre "tout ce que l'architecture romaine devait à l'architecture grecque [...]" d'après Jean Bonnet.
Les Romains n'inventent quasiment rien que les grecs (ou d'autres peuples) n'aient ébauché auparavant. Ils améliorent en revanche beaucoup certaines de ces techniques "empruntées" : ils perfectionnent ainsi la voûte et mettent au point la coupole.
Notons tout de même une invention essentielle et étonnamment précoce : la normalisation : Frontin, autre ingénieur romain célèbre, rapporte que les romains fabriquaient des tuyaux de diamètre normalisé (5, 6, 7, 8, 10, 12 ou 20 quadrants de pouces, un quadrant de pouce mesurant 4,5 mm). L'AFNOR avant l'heure...
Il y a tout de même un net ralentissement du progrès technique avec les Romains, y compris pour les Grecs auparavant très créatifs. Jean Bonnet l'explique par 3 hypothèses complémentaires :
- l'utilisation d'esclaves, qui rend inutile les progrès simplifiant le travail des ouvriers,
- la démotivation des Grecs car ils ne sont plus les maîtres,
- et la baisse du niveau général des connaissances.
Le Moyen-Age : déclin technique puis renouveau
La disparition de l'empire romain conduit à une nouvelle civilisation européenne dominée par les Barbares d'une part, intéressés essentiellement par les armes, du point de vue technique ; et par l’Église d'autre part, qui revalorise le travail manuel.
La technique militaire progresse donc, notamment la métallurgie et les explosifs. Le construction aussi, au travers de l'édification des bâtiments militaires et religieux et en particulier des cathédrales.
Dire que le progrès technique est absent du début du Moyen-Age est donc excessif. Toutefois, toutes les techniques gréco-romaines qui n'intéressaient pas les classes dirigeantes ont été perdues. Ce n'est donc qu'avec les croisades que les Européens vont redécouvrir ce patrimoine technique, conservé et développé par les Arabes, au XIIe siècle. Ces derniers ont ainsi inventé le moulin à vent (non, ce n'est pas les néerlandais !) ou encore fait progressé l'alchimie (l'alambic est d'origine arabe).
Le XIIe siècle est parfois considéré comme une petite révolution technique, car le progrès s'accélère à nouveau après avoir fortement ralenti voire régressé. Il s'agit sans doute d'une illustration d'innovation ouverte, bien avant que la notion soit introduite : l'Europe, en s'ouvrant à une autre civilisation, a relancé sa machine à innover.
Enfin, le XIIIe siècle introduit l'université, qui à l'époque n'a rien à voir avec la technique, mais enfin on réintroduit le goût pour l'abstraction.
Leçons du passé
Que peut-on en retenir ? Chaque époque apporte sa leçon sur le progrès technique et plus généralement sur l'innovation :
- Néolithique : le temps libre est essentiel pour innover
- Haute Antiquité : se rassembler permet d'échanger et donc d'innover
- Grecs : l'abstraction et la créativité permettent la véritable innovation
- Romains : le pragmatisme et l'amélioration continue permettent de perfectionner mais pas d'innover
- Moyen-Age : l'isolation bride l'innovation, l'ouverture permet de progresser
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