lundi 17 juin 2013

Écriture chinoise et mondialisation

J'ai récemment visionné sur France 5 un documentaire sur les débuts de la civilisation chinoise. (Oui, il m'arrive de regarder des documentaires. Mais ne le répétez à personne.) Ce reportage a été l'occasion de réfléchir sur l'écriture chinoise.

Une écriture très particulière

Je m'étais déjà fait la réflexion que cette écriture était curieuse, puisqu'elle n'est pas une transcription phonétique. L'un de mes copains de promo, ayant travaillé en Chine, m'a dit un jour que c'était certainement un handicap pour la Chine. En particulier, la construction de nouveaux mots lui paraissait alambiquée : ainsi, le train s'appellerait Cheval de Feu en chinois.
Pourtant, c'est certainement le système d'écriture le plus ancien utilisé à ce jour. Les hiéroglyphes égyptiens sont abandonnés depuis longtemps, et à ma connaissance les autres langues sont généralement transcrites en une écriture phonétique, soit alphabétique (comme pour les langues occidentales) soit syllabique (comme pour le coréen par exemple).
Le reportage en question éclairait la question : l'écriture par idéogramme, précisément parce qu'elle n'est pas phonétique, permet de communiquer par écrit entre des populations ne parlant pas la même langue. Ce qui était le cas de la Chine Antique, et qui est apparemment toujours le cas de nos jours. Peu importe que vous parliez mandarin ou cantonnais, vous écrivez vos messages de manière identique.

La base d'un système international de communication ?

Vous connaissez ma marotte : faire du neuf avec du vieux. J'ai donc imaginé que cette particularité chinoise pourrait très bien s'appliquer à l'ensemble des langues mondiales. Quitte à abandonner l'écriture chinoise, très marquée culturellement, et la remplacer par un système plus général.
En cherchant un peu, déformation professionnelle oblige, je me suis aperçu que cette idée n'était pas si nouvelle. Un certain Charles Bliss, australien d'origine autrichienne (il s'appelait Karl Blitz au départ), a inventé dans les années 1940 et 1950 un langage idéographique qui porte son nom : le Bliss.
Selon la page Wikipédia consacrée, ce langage a été ignoré pendant longtemps, comme la plupart des tentatives du même tonneau. Toutefois, il a fini par être utilisé dans les années 1970 au Canada pour aider des personnes ne pouvant pas parler à communiquer. Bien sûr, cette application est relativement restreinte. Pour en savoir plus sur le Bliss, vous pouvez lire cette page.
Pourtant, en ces temps de mondialisation, la communication est un enjeu important. Certains défenseurs des langues nationales ou régionales se plaignent de la domination écrasante de l'anglais, principal vecteur de communication international. Or l'un des problèmes majeurs que résout l'anglais (ou tout autre langage intermédiaire) est la traduction. Voyons pourquoi.
La traduction entre deux langues est exigeante, et plus il y a de langues, plus il faut de traducteurs, et ce nombre explose vite. Pour les matheux, il vous sera facile de voir que si vous avez N langues, il vous faut N(N-1)/2 traducteurs. Pour les autres, illustrons juste par un exemple : avec 2 langues, il vous suffit d'un traducteur. Avec 100 langues, vous avez besoin de 4950 traducteurs.
La solution ? Passer par une langue intermédiaire comme l'anglais (ou le latin à l'époque médiévale). En effet, vous n'avez besoin alors que d'un traducteur par langue (qui sait traduire de cette langue vers l'anglais et réciproquement). Pour traduire une langue A en une langue B, vous faites alors deux traductions : une de la langue A vers l'anglais, puis une autre de l'anglais vers la langue B.
L'écriture chinoise ne fait rien d'autre, si ce n'est que c'est un vecteur purement écrit. De plus, le fait que l'écriture phonétique des langues orales n'existait pas à l'époque, c'était un passage obligé.
Le Bliss est-il le langage idéal pour une écriture mondiale ? Je l'ignore. Peut-être faut-il en inventer une autre. Mais imaginez comment les notices d'utilisation s'aminciraient si l'on utilisait une convention d'écriture unique pour tous les langages de la Terre !

Une langue contrôlée ?

Bien sûr, il est difficile d'imaginer transcrire de la littérature, des jeux de mots, de la poésie avec un tel langage. C'est d'ailleurs toute la difficulté des bonnes traductions littéraires que de résoudre cette quadrature du cercle linguistique. Je vous renvoie sur ce sujet à l'excellent mais difficile ouvrage d'Umberto Eco, Dire presque la même chose.
Mais la communication n'est pas de la littérature. C'est d'ailleurs ce qui fait que nos lycéens peinent à commander une bière en Allemagne alors qu'ils savent parler d'euphémisme en allemand à une épreuve du bac. Cherchez l'erreur.
Non, la communication n'a pas besoin de toute la richesse des langues. C'est même un obstacle. La polysémie des mots, intéressante en philosophie, crée l'ambiguïté et engendre l'erreur d'interprétation. La perfection grammaticale, le subjonctif, ne rend pas un message plus clair. La traduction est plus difficile lorsque le message est alambiqué. C'est d'ailleurs ce qui rend la traduction automatique si...étonnante (essayez donc Google Translate sur un texte littéraire).
Il s'est développé depuis plusieurs années dans le milieu de la traduction une démarche nouvelle, la langue contrôlée. L'idée est simple : on oblige les textes à respecter des règles strictes permettant de réduire l'ambiguïté.
Par exemple, on évite l'utilisation des pronoms, quitte à répéter un nom. Ainsi, on ne dira pas : "Pierre est parti, et il est revenu.", mais "Pierre est parti, et Pierre est revenu.
Ces règles contraignent la langue à respecter une forme moins naturelle, mais elles contribuent fortement à faciliter son traitement par des traducteurs, humains comme machines. La langue écrite universelle pourrait s'appuyer sur cette démarche de langue contrôlée.
Il n'est pas étonnant, à cet égard, que l'écriture chinoise ne fasse pas intervenir une grammaire très élaborée. L'écriture chinoise ancestrale est donc un modèle de langue universelle pour la communication globale. Bel exemple de la médiation technique, non ?

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