lundi 27 juin 2011

Le dilemme du prisonnier, un frein à l'innovation

Il faut donc choisir de deux choses l'une : ou souffrir pour se développer, ou ne pas se développer, pour ne pas souffrir. Voilà l'alternative de la vie, voilà le dilemme de la condition terrestre. (Théodore Jouffroy)
L'économie a besoin d'innovation, tout le monde s'accorde à le dire. Pourtant, individuellement, les entreprises n'innovent pas toutes. Pourquoi l'intérêt commun n'est-il pas l'intérêt de chacun ?

Un modèle économique

Pour ceux qui ne connaissent pas le dilemme du prisonnier, il s'agit d'un modèle de situation économique, décrit par exemple ici. C'est aussi un exemple de transposition entre deux activité humaines a priori très différentes, les jeux et l'économie.
Le dilemme du prisonnier permet d'illustrer dans une situation très simple comment les intérêts individuels peuvent éloigner le groupe de la solution globalement optimale. La coopération, bien que plus intéressante pour tous, est écartée de manière tout à fait rationnelle au profit de l'égoïsme, globalement délétère.
Quel rapport avec l'innovation ? Il est assez simple : dans de nombreuses situations, les entreprises préfèrent rationnellement ne pas tenter d'innover, même si c'est l'intérêt commun.
En effet, innover nécessite généralement des investissements. De plus, l'investissement n'est pas forcément récompensé par un retour sur investissement supérieur à ce qu'un concurrent gagnerait en se contentant de suivre l'innovateur. Ce n'est globalement vrai que dans des secteurs d'activités très dynamiques, dans lesquels il est facile d'innover très fréquemment, et où l'innovation apporte rapidement un avantage concurrentiel. L'exemple-type est le secteur du téléphone mobile.
Mais essayez d'innover dans un secteur comme l'industrie lourde, où un procédé industriel prend parfois 10 ans ou plus à être développé à coups de grands investissements.
Pensez par exemple au procédé Float, le procédé de fabrication du verre plat : l'inventeur Alastair Pilkington s'est quasiment ruiné pour le développer. Certes, le procédé est devenu omniprésent pour fabriquer des vitres, mais l'entreprise qui l'embauchait (Piltington Glass, l'homonymie est accidentelle) a été obligée de céder la licence du brevet à tous les grands verriers pour rentabiliser l'investissement. Les autres verriers ont donc profité de l'innovateur sans investir dans l'innovation. Pas de risques, un investissement finalement modeste par rapport à Pilkington : même pour une innovation couronnée de succès, mieux valait être un  suiveur qu'un innovateur !

Des jeux à l'économie

Les premiers auteurs de la théorie des jeux sont des mathématiciens : John Von Neumann et Oskar Morgenstern. Hé oui, il faut sans doute être mathématicien pour penser qu'on peut faire une théorie des jeux.
Dans une certaine mesure, ils ont réalisé une médiation technique, car ils ont transposé des concepts ludiques à l'économie. La théorie des jeux est ainsi un outil économique qui vise à s'intéresser à la micro-économie telle qu'elle se pratique, et à en comprendre les tenants et aboutissants dus aux actes de l'être humain. Ils introduisent ainsi les notions de stratégie, de coopération et de compétition, notions absentes de la pensée économique auparavant.
Le dilemme du prisonnier, modèle phare de la théorie, peut être utilisé pour mieux comprendre des situations aussi diverses que la crise des missiles de Cuba (affrontement entre les États-Unis et l'Union Soviétique sur fond de guerre froide), l'entente anti-concurrentielle entre des oligopoles ou la stratégie des entreprises par rapport à l'innovation.
Le dilemme du prisonnier montre quels ingrédients sont nécessaires pour que la pire situation soit choisie in fine. Si je traduis le critère donné sur Wikipédia en termes d'entreprises et d'innovation, voici sa formulation.
Pour qu'il y ait dilemme, le suivisme (je n'innove pas, il innove) doit payer plus que la coopération innovante (on innove tous les deux), qui doit rapporter plus que l'absence d'innovation (personne n'innove), qui doit être plus valorisante que l'innovation isolée (j'innove, il n'innove pas).
Pour sortir du dilemme, il s'agit de modifier l'ordre de ces attitudes. Il y a donc trois possibilités :
  • faire en sorte que le suivisme rapporte moins que la coopération innovante : c'est l'idée du Crédit Impôt Recherche, par exemple, même s'il n'est pas évident que cet outil permette effectivement de renverser l'ordre ;
  • faire en sorte que l'absence d'innovation rapporte plus que la coopération innovante : il n'y a plus de dilemme, mais on incite chaque entreprise à ne pas innover (à éviter !) ;
  • faire en sorte que l'innovation isolée rapporte plus que l'absence d'innovation : il faut réduire l'investissement et le risque que prend l'innovateur.
C'est sans doute simpliste, mais disons que le premier point est typique de l'action publique, alors que le troisième est à la portée de l'entreprise. Il s'agit de rendre l'innovation plus facile, moins gourmande en ressources et plus sûre. Étrange conclusion que d'adopter une attitude de gestionnaire pour innover, n'est-ce pas ? La gestion rationnelle n'est-elle pas par nature opposée à l'innovation créative ?

Médiation technique : une solution paradoxale

C'est précisément l'un des mérites de la médiation technique que de résoudre ce paradoxe apparent, bien que ce n'est pas la seule (il y a toutes les solutions d'innovation partagée, notamment).
Effectivement, lorsque l'on innove, rechercher une solution toute faite plutôt que la réinventer, c'est augmenter ses chances de succès, tout en réduisant l'investissement nécessaire.
D'ailleurs les grands innovateurs, comme Edison, se sont généralement basés sur des solutions déjà anciennes, bien connues et éprouvées. Une médiation technique avant l'heure, en quelque sorte.

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