La chaleur, archétype de la diffusion
L'équation de la chaleur, introduite par Fourier, une des premières équations aux dérivées partielles de la physique moderne. Elle décrit l'évolution de la température d'un corps au cours du temps par l'effet de la conduction thermique.
Sans rentrer dans les détails techniques, elle met en jeu deux propriétés physiques d'un corps :
- d'une part, sa conductivité thermique, qui quantifie la vitesse à laquelle l'énergie thermique se transmet entre deux zones de température différente ;
- et d'autre part, son inertie thermique (plus exactement, le produit de sa densité et de la chaleur spécifique) qui détermine la vitesse d'échauffement du corps lorsqu'il reçoit de l'énergie thermique.
Pourquoi appeler cette propriété la "diffusivité" ? Tout simplement, parce que l'équation de la chaleur est similaire à l'équation qui décrit la diffusion d'une substance dans une autre, comme le thé diffusant de son sachet dans la tasse d'eau chaude (sous réserve de ne pas touiller). Nous y reviendrons.L'une des principales leçons de cette équation, c'est que contrairement à l'équation des ondes, caractérisée par une vitesse, il n'y a pas à proprement parler de vitesse de propagation de la chaleur, car celle-ci dépend de la taille de la zone de diffusion. Prenons par exemple un matériau de diffusivité thermique égale à 10-5 m2/s (un conducteur moyen de la chaleur). On peut estimer le temps nécessaire à établir un équilibre thermique d'un échantillon en prenant sa taille typique L, en l'élevant au carré et en divisant le résultat par la diffusivité. Ainsi, pour un échantillon de 1 mm, le temps obtenu est de 0,1 seconde ; pour un échantillon de 1 cm, on est à 10 secondes ; pour un échantillon de 1 dm, on passe à 1000 s soit environ un quart d'heure ; et pour un échantillon d'un mètre, on aboutit à plus de 27 heures. Plus c'est gros, plus c'est lent.
Cela a des conséquences pratiques : ainsi, si vous voulez conserver du vin à une température stable toute l'année, il suffit de le garder en profondeur et l'éloigner suffisamment du sol (soumis à la variabilité saisonnière des températures) pour que le temps caractéristique de la diffusion de la chaleur dans le sol soit bien plus grand que l'année. Ce qui est atteint en général vers quelques mètres de profondeur. Les caves sont donc parfaitement adaptées à la conservation du vin, ce qui n'est pas le cas d'un grenier. Les amateurs de bon vin le savent bien.
Et on pourrait également parler de la cuisson des aliments, le rosbif étant une bonne illustration de la diffusion de la chaleurs, étant généralement cuit à l'extérieur et quasi-crû à l'intérieur.
D'autres situations de diffusion
Mais la même équation décrit des phénomènes très variés. Nous avons cité le cas de la diffusion du thé, mais plus généralement toutes les substances chimiques dont la concentration est inhomogène dans un matériau ou dans un fluide tendent à diffuser en suivant l'équation de la chaleur, qu'on appelera plutôt "équation de diffusion" dans ce cas.
Le phénomène est important, car il intervient, par exemple, dans la corrosion ou l'oxydation des matériaux : l'oxygène présent dans l'air ambiant, par exemple, diffuse depuis la surface d'un métal comme l'acier en réagissant chimiquement au passage. C'est la rouille.
L'aluminium s'oxyde également de la sorte, mais l'oxyde se formant à la surface, l'alumine, a une diffusivité pour l'oxygène très basse et en pratique l'aluminium est très peu sensible à l'oxydation.
La diffusion intervient également dans les alliages métalliques, qui sont des mélanges de métaux dont la structure est généralement hétérogène : il y a typiquement deux ou trois "phases" différentes dans un alliage, et la diffusion tend à les homogénéiser.
Or cette structure peut être plus ou moins bénéfique selon les besoins : un alliage peut ainsi être rendu plus ductile (mou mais peu cassant) ou plus fragile (dur mais cassant) selon sa structure. Comme la diffusivité augmente souvent très vite avec la température, le savoir-faire du métallurgiste consiste à profiter de cette diffusion en chauffant l'alliage (c'est le recuit) ou à l'éviter en refroidissant vite l'alliage (c'est la trempe).
La cuisine, à nouveau, est utilisatrice de la diffusion d'espèces chimiques : les bouillons ou les marinades visent à faire diffuser des composés parfumés dans une viande ou un légume afin de lui donner plus de goût. Et je ne parle pas des rhums arrangés et autres boissons parfumées par diffusion et à consommer avec modération.
Enfin, cette diffusion "chimique" intervient dans les problèmes de pollution : une substance toxique mal stockée peut diffuser dans le sol, qui devient contaminé. La bonne nouvelle est que la zone contaminée par diffusion est limitée puisque plus on s'éloigne, plus la diffusion est lente. La mauvaise nouvelle est que la diffusion n'est que rarement le seul phénomène de pollution en jeu : en particulier, si de l'eau circulante est contaminée, les dégâts peuvent être considérables.
Notons également que la diffusion se retrouve également dans la mécanique des fluides au travers de la viscosité. Il s'agit cette fois de diffusion de vitesse : un fluide visqueux mis en mouvement par une paroi mobile se met en mouvement rapidement à proximité de la paroi, mais plus lentement à mesure qu'on s'en éloigne. Mais dans le cas des fluides, il est rare que la convection ne se mèle pas de la partie.
Convection et diffusion
Notons que la diffusion dans un liquide ou un gaz est rarement le seul phénomène en jeu. Le mouvement du fluide, s'il existe, a un rôle important dans le transport de la chaleur ou des espèces chimiques. En particulier, lorsque l'écoulement du fluide est suffisamment rapide pour être turbulent, tout se passe comme si la diffusivité du fluide était fortement augmentée.
On parle de convection forcée lorsque le mouvement du fluide est imposé (par une hélice, par exemple), et de convection naturelle quand le mouvement est spontané. Le premier cas est intuitif (c'est la cuillère qui touille le thé ou le café), le second l'est un peu moins alors qu'il correspond à une situation très familière.
En effet, il suffit que la différence de température ou de concentration chimique se traduise par une différence de densité du fluide pour que la gravité intervienne. Or l'air chaud est moins dense que l'air froid, par exemple, ce qui fait que lorsqu'on chauffe de l'air, celui-ci a tendance à monter, laissant sa place à de l'air plus froid. On alimente ainsi une circulation, que les cuisiniers (encore eux !) connaissent bien au travers de la fumée sortant d'une casserole.
Sans rentrer plus dans les détails, cette convection naturelle intervient dans la météorologie (les nuages d'orage en sont une belle illustration), dans le chauffage domestique (la diffusion seule serait bien inefficace pour chauffer une maison), dans l'homogénéisation d'un mélange chimique, dans la formation des volcans et dans l'activité sismique (le manteau terrestre étant un fluide, à l'échelle de millions d'années)...
C'est donc un phénomène presque aussi répandu que la diffusion.
Médiation technique et diffusion
Un tel phénomène, aussi transdisciplinaire, est une mine pour un médiateur technique : il suffit qu'une problématique qu'il doit traiter touche à de la diffusion pour pouvoir chercher des solutions dans d'autres situations faisant intervenir de la diffusion. Et elles sont nombreuses.
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