lundi 16 juillet 2012

Savoir échouer intelligemment est un art

Le succès, c'est d'aller d'échecs en échecs sans perdre son enthousiasme. (Winston Churchill)
L'échec professionnel est souvent mal vu en France. Vous avez été embauché pour un emploi, mais vous avez été licencié ? Vous n'êtes forcément qu'un minable. Peu importe que vous n'ayez pas eu les bons encadrants ni la formation adéquate, peu importe que la conjoncture vous était défavorable, voilà une tache sur un CV. Étonnez-vous, après, qu'il y ait si peu d'entrepreneurs ambitieux et d'entreprises innovantes par ici. Vous connaissez des équivalents français de Google ou de Steve Jobs, vous ?
Pourtant, l'échec est bénéfique dans bien des contextes, y compris professionnels. Plus étonnant, c'est la méthode privilégiée de développement de nombreuses industries.

La méthode essais-erreurs


Tout le monde connaît pourtant la méthode essais-erreurs depuis sa plus tendre enfance, lorsque par exemple on apprend à reconnaître des formes. Vous aviez certainement encore des couches lorsque vous avez essayé pour la première fois de rentrer un cylindre dans un trou carré sans succès. Au bout de quelques essais, vous avez fini par vous rendre compte qu'il fallait plutôt le passer au travers d'un trou circulaire, et faire passer un cube dans le trou carré.
Personne ne vous a dit à l'époque (du moins je l'espère pour vous) : "tu ne vaux rien, tu n'es même pas capable de voir que ce n'est pas la bonne forme !". Au contraire, on vous a sûrement encouragé à réessayer jusqu'à ce que vous réussissiez.
Alors, pourquoi les gens sont-ils si sévères avec les gens qui échouent ?
Peut-être se disent-ils que c'est bon pour les enfants, mais que ce n'est pas une méthode sérieuse, adulte, professionnelle.
Pourtant la méthode d'essais-erreurs est à la base de bien des secteurs d'activité. Voici quelques exemples :
  • La pharmacie, la médecine, et plus généralement les industries des sciences de la vie : la biologie est une science très complexe, dont on ne maîtrise aujourd'hui qu'une infime partie. Le développement de nouveaux médicaments ou de nouveaux traitements passent par des essais cliniques, et il faut souvent bien des échecs avant de trouver une molécule ou une méthode qui donne des résultats satisfaisants.
  • L'industrie pétrolière : même si elle dispose de techniques avancées comme la sismique, elle a toujours besoin de forer des puits pour vérifier l'existence d'une nappe de pétrole. Les technologies actuelles permettent simplement d'augmenter fortement le taux de succès d'un tel forage.
  • La chimie : la maîtrise d'un procédé de fabrication d'une substance ou d'un matériau est guidée par le savoir empirique des chimistes, mais il est toujours nécessaire de réaliser des essais pour développer une matière plastique plus performante, un alliage plus léger, ou une voie de synthèse moins polluante.
  • Le marketing, comme les autres activités basées sur la psychologie humaine, utilise énormément les essais au travers des panels d'utilisateurs : ces utilisateurs ont pour charge d'essayer un nouveau produit afin de savoir s'il leur convient.
  • L'informatique est, par certains aspects, le royaume des essais-erreurs : lorsqu'on arrive à modéliser numériquement un problème, l'utilisation de la force de calcul des ordinateurs modernes permet souvent d'essayer des tas de combinaisons pour identifier les bons paramètres.

Bref, des secteurs très différents utilisent quotidiennement la méthode d'essais-erreurs pour le développement de leurs nouveaux outils.
La Silicon Valley est également une sorte de laboratoire géants d'essais-erreurs, mais les essais se traduisent par des entreprises (les start-ups), les échecs par la faillite, et les succès par des fortunes. Beaucoup d'échecs, certes. Mais, à la clé, des réussites uniques au monde.

Échouer vite, échouer bon marché, échouer intelligemment

Et c'est de la Silicon Valley et de cet état d'esprit spécifique d'entrepreneurs, qui essayent au risque d'échouer, que je me propose de m'inspirer aujourd'hui.
Car il ne suffit pas d'essayer beaucoup pour réussir. Sinon, les Shadoks auraient raison de dire : "La probabilité de réussir la mise sur orbite d'une fusée est d'une chance sur un million. Dépêchons-nous de rater 999.999 lancements !".
Non. Il y a des principes que les entrepreneurs de la Silicon Valley ont découvert empiriquement (c'est-à-dire par essais-erreurs). J'en citerai trois :
  • Fail Fast (échoue rapidement) : quitte à connaître des échecs, autant qu'ils arrivent rapidement : cela évitera de perdre du temps à développer un projet qui finira par échouer.
  • Fail Cheap (échoue à bon marché) : quitte à échouer, autant que l'échec n'engloutisse pas une somme démesurée d'argent, ce qui empêcherait de réessayer faute de moyens.
  • Fail Smart (échoue intelligemment) : quitte à échouer, autant analyser pourquoi on échoue, afin d'éviter de se lancer dans un nouveau projet également voué à l'échec alors qu'on aurait pu le savoir à l'avance.
Les Shadoks ont compris le premier point, peut-être le second, mais certainement pas le troisième.
Ce qui ne signifie pas que le principe Fail Fast soit inutile, mais qu'il faut l'utiliser intelligemment. Ainsi, dans ce billet (en anglais), l'auteur évoque le cas de Paul MacCready, un inventeur qui a résolu un problème difficile : concevoir un aéronef uniquement propulsé par le corps d'un être humain.
Notons au passage que c'est un cas de crowdsourcing : le challenge a été lancé par Henry Kremer, un industriel britannique très riche, contre une récompense de 50 000 livres sterling en 1959. Pendant une douzaine d'années, des équipes se sont attaquées au problème sans succès, avant que MacCready s'y frotte.
Ce qui est génial dans cette histoire, c'est que Paul MacCready a compris que les autres compétiteurs se trompaient profondément dans leur approche de la recherche de solutions. Ils développaient des systèmes complexes pendant une longue période, typiquement un an, faisaient un essai, puis recommençaient. Un cycle beaucoup trop long pour que l'apprentissage par essais-erreurs puisse être efficace.
Et il a changé d'approche. Il a cherché à développer un aéronef que l'on puisse construire en quelques heures plutôt qu'en quelques mois. Le premier prototype fut évidemment un échec, mais il put ainsi multiplier les essais (fail fast, fail cheap), apprendre de ses erreurs (fail smart), et finalement en quelques mois développer un aéronef qui vola grâce à la seule force musculaire du pilote.

Une illustration anachronique de la médiation technique 

De manière anachronique, cette histoire prêche pour les principes de la médiation technique.
En effet, elle précède temporellement le développement de l'économie de start-up de la Silicon Valley ; toutefois Paul MacCready illustre ainsi que des concepts bien connus dans un domaine (l'entreprenariat) sont souvent applicables dans un autre (l'aéronautique) qui les ignore totalement.
Si on compte 2 essais par jours (la moitié du maximum évoqué dans le billet) pendant 6 mois (le temps de développement de sa solution), on peut estimer à 300 ou 400 le nombre d'essais qu'il lui a fallu. L'idée de MacCready est donc une innovation par apport d'une idée qui fera ses preuves ailleurs : l'accélération de l'échec et de l'apprentissage.
Tels des Sisyphe, Les autres compétiteurs en auraient eu, à leur rythme, pour trois ou quatre siècles !

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