mardi 1 février 2011

Pour étendre les possibilités : la créativité

Plus une découverte est originale, plus elle semble évidente par la suite. (Arthur Koestler)
La ressource technique recherchée par une entreprise n'est pas forcément disponible dans son environnement immédiat. Il est parfois nécessaire de contacter des entreprises de secteur d'activité complétement différents ou des partenaires avec qui l'entreprise n'a pas l'habitude de travailler. La créativité permet d'ouvrir le champ d'investigation pour augmenter les chances de trouver le bon partenaire.
Nous allons aborder les moyens d'imaginer les partenaires qui pourraient procurer la ressource technique recherchée, puis nous allons voir, si les partenaires possibles sont trop nombreux, comment les ordonner pour se focaliser sur les plus prometteurs. Enfin, nous noterons que l'usage de la créativité ne se limite pas à la préparation de la recherche, mais qu'il faut en faire usage tout au long de la prospection d'entreprises.

Imaginer les partenaires possibles

Dès que le cahier des charges est finalisé, la phase de recherche d'entreprises peut démarrer. Mais avant de se lancer tête baissée dans la recherche, il est utile de prendre du temps pour définir quels partenaires pourraient disposer de la ressource technique que l'on recherche, même très originaux.
En effet, il n'existe pas de base de données recensant toutes les entreprises avec leurs équipements, leurs savoir-faire,...Il faut donc en quelque sorte traduire le cahier des charges en portrait-robot de partenaires possibles. Et pour avoir un maximum de possibilités, il faut être créatif.

Les écoulements sous vide et le domaine spatial
De nombreux secteurs industriels font appel à une technologie du vide, c'est-à-dire à un procédé dont une partie nécessite de faire le vide à des pressions très basses. Par exemple, l'industrie du semi-conducteur, du photovoltaïque, du vitrage (dépôt de couches minces)...
Même dans des conditions de vide poussé, il reste toujours une fraction de gaz dont le mouvement peut avoir une importance cruciale pour la maîtrise d'un procédé. Or dans ces conditions, les écoulements ne suivent plus les mêmes
lois que ceux des fluides denses (l'équation de Navier-Stokes en particulier), ce qui empêche toute utilisation de logiciels standards de simulation de mécanique des fluides pour dimensionner une installation. Où une entreprise peut-elle trouver un logiciel adapté ?
En faisant preuve de créativité, elle peut penser à un autre secteur d'activité pour lequel les écoulements sous vide sont essentiels : le domaine spatial. En effet, lors de la rentrée dans la haute atmosphère de navettes spatiales, les écoulements d'air raréfié doivent être maîtrisés pour assurer la sécurité de la navette et de ses occupants. La NASA en particulier a développé depuis les années 1960
des logiciels de simulation d'écoulement sous vide. On peut donc chercher un partenaire dans l'industrie spatiale. 

Cet exemple peut sembler académique, mais au début des années 2000, il n'y avait pas d'offre de logiciel de ce type sur le marché. Une entreprise française, In Silicio, propose depuis 2004 ce type de simulation pour l'industrie.

La créativité est donc un levier efficace pour augmenter ses chances de trouver la ressource recherchée, trouver une ressource au meilleur prix ou de meilleure qualité,...car elle permet d'augmenter le nombre de choix possibles.
Pour permettre à l'équipe projet de mettre en œuvre sa créativité de manière
la plus efficace possible au démarrage de la phase de recherche, le médiateur peut utiliser une ou plusieurs méthodes de créativité, dont la plus célèbre est le brainstorming d'Osborn, qui est bien adaptée à la problématique de la médiation technique.

Mais il y en a d'autres, comme la méthode des 6 chapeaux.
L'usage de moteurs de recherche comme Google peuvent également servir la créativité, car une recherche sur quelques mots-clés caractérisant la ressource technique à identifier génère généralement des résultats inattendus qui peuvent alimenter la créativité.
Certaines méthodes de créativité, qui ont été développées pour un type de créativité spécifique, ne sont pas adaptées à la créativité dans la recherche d'un partenaire. Cependant rien n'interdit d'utiliser les idées qui ont conduit à les développer.
Ainsi, les méthodes dérivées de TRIZ (une théorie de l'innovation basée sur l'analyse de nombreux brevets et sur l'analogie entre les solutions techniques) sont destinées à résoudre une difficulté technique, et ne permettent pas d'aborder la recherche de partenaires originaux. Par contre, une idée essentielle de TRIZ est que les innovations résolvent une contradiction : on veut faire évoluer indépendamment des paramètres qui sont généralement couplés. En raisonnant à l'envers, la ressource technique étant identifiée, on peut déterminer quelle contradiction elle résout, puis chercher qui aurait besoin de résoudre cette contradiction.

Le séchage sous vide
Une entreprise doit sécher des barres métalliques fortement corrodées, mais elle ne peut utiliser de séchage par air chaud car les parties corrodées sont très poreuses ce qui rend l'évaporation lente même avec un gros débit, à moins de faire bouillir cette eau, mais il faudrait dépenser beaucoup de chaleur. Elle souhaite tester le séchage sous vide, qui lui parait adéquate, en trouvant un équipement de séchage sous vide. Qui peut utiliser un sécheur sous vide ?
Le séchage sous vide résout une contradiction : sécher vite des matériaux poreux sans chauffer. On peut avoir besoin de sécher un matériau sans chauffer car il ne supporte pas la chaleur. Les matériaux à base de polymères (plastiques, matières végétales) en particulier supportent mal la chaleur. Certains matériaux de ce type peuvent être poreux, comme les mousses de polystyrène, ou le bois. Le bois en
particulier peut être humide et nécessiter d'être séché. L'industrie du bois est donc un secteur d'activité à explorer.
Il se trouve que l'industrie du bois utilise depuis plusieurs dizaines d'années le séchage sous vide de manière courante. L'idée de la contradiction de TRIZ combinée à un brainstorming sur cette contradiction, a conduit à un secteur d'activité qui ne serait peut-être pas venu à l'esprit spontanément.

La règle principale de la créativité est de ne rien s'interdire : si une méthode est stérile pour un problème donné, on peut en utiliser une autre, on peut croiser les méthodes,...L'important est de disposer d'au moins une piste d'exploration pour pouvoir démarrer la recherche.

Hiérarchiser les pistes

S'il faut au moins une piste pour entamer la recherche, rien n'empêche que la créativité en livre des dizaines. Il est alors impossible de toutes les explorer dans un temps raisonnable et une hiérarchisation des pistes de recherche doit être faite.
Une piste de recherche se traduit par un ensemble d'entreprises, cet ensemble étant défini par des caractéristiques communes :il peut s'agir d'un secteur d'activité, d'une zone géographique d'implantation...
Trois critères doivent être mis en avant pour comparer les pistes :
  • la probabilité de succès de la recherche dans cette piste,
  • la proximité d'activité entre l'ensemble d'entreprises de la piste et
  • l'entreprise qui recherche,
  • et la qualité de la ressource qu'on peut espérer trouver par cette piste.
La probabilité de succès de la recherche s'estime grossièrement, en tenant compte du nombre d'entreprises de la piste, de leur proximité géographique et linguistique,...Il va de soi qu'une piste avec peu de chances de succès risque de nécessiter beaucoup d'efforts pour rien.
La proximité d'activité s'estime également de manière approximative, en tenant compte des similitudes de métiers, d'organisation, de marché, de fournisseurs...Plus l'activité d'une entreprise identifiée sera proche de celle de l'entreprise qui recherche, plus l'adaptation de la ressource d'une entreprise à l'autre sera aisée.
Enfin, la qualité de la ressource s'estime aussi qualitativement, en tenant compte de l'adéquation de la ressource recherchée avec les besoins des entreprises de la piste. Plus les entreprises contactées auront une problématique similaire à celle du cahier des charges, plus la ressource sera facile à adapter.

L'isolation thermique à très haute température 
Pour augmenter l'efficacité énergétique d'un procédé industriel consistant à transformer un mélange de matières premières par chauffage à très haute température (disons, 2000°C) sous atmosphère réductrice, une entreprise française recherche un moyen de porter les parois du four en contact avec les matières premières à 2000°C. 
Après quelques recherches, elle s'aperçoit que seules les matières poreuses à base de carbone ont des chances de fonctionner. Mais avant de chercher un  fournisseur et de tester un produit particulier, l'entreprise veut un retour d'expérience de l'usage de ces matériaux dans des conditions proches des siennes. Un brainstorming aboutit à 3 pistes : les entreprises aéronautiques (isolation des parties chaudes de certaines turbomachines), les entreprises fabricant des fours à haute température, et les entreprises fabricant des matériaux à haute  température à l'exclusion de ses concurrents.
  • La première piste a une probabilité de succès faible, car l'application est très spécifique, il y a peu d'entreprises sur le marché, elles sont plutôt américaines, elles travaillent pour des clients du secteur militaire,... ; l'activité est assez éloignée de l'entreprise ; par contre, la qualité de la ressource est a priori bonne, car les températures atteintes sont élevées et l'atmosphère est réductrice dans les turbomachines ;
  • La deuxième piste a une probabilité de succès moyenne, car les fabricants de fours à haute température sont peu nombreux, mais relativement présents en Europe ; l'activité est proche car le procédé de l'entreprise consiste essentiellement en un four à haute température ; enfin, la qualité de la source est bonne, car la problématique d'isolation est identique.
  • La troisième piste a une probabilité de succès faible, car il existe peu de producteurs de matériaux à haute température, mais ils sont relativement présents en Europe ; l'activité est quasiment identique ; enfin, la qualité de la  source est moyenne, car selon les matériaux produits, l'atmosphère peut être réductrice ou oxydante, et l'expertise n'est pas pertinente quand l'atmosphère est oxydante.
La deuxième piste est certainement à privilégier, car elle est meilleure ou similaire aux autres sur les trois critères. S'il faut en abandonner une, faute de temps ou de moyens, on peut choisir de privilégier la qualité de la ressource et laisser tomber la troisième piste, qui était peut-être la seule piste évidente avant le brainstorming.

Cette hiérarchisation est utile pour démarrer, mais elle n'est pas figée définitivement. En effet, il est possible, en cours de recherche, que l'on se rende compte qu'une piste mérite plus d'attention que prévu, ou qu'au contraire une piste a priori attractive soit stérile. Il faut réactualiser la hiérarchie quand cela paraît nécessaire.

Rester créatif

Une fois un certain nombre de pistes identifiées, la prospection peut démarrer. Cela ne signifie pas pour autant que la créativité n'a plus de rôle à jouer. En effet, la prospection est l'occasion d'échanges avec des interlocuteurs divers, ayant parfois une vision pertinente d'un secteur d'activité, et qui peuvent suggérer d'autres idées pour la recherche.

Le galeriste et le banquier
 Un galeriste cherche à acheter une grande maison pour exposer des œuvres dans un cadre plus moderne. Il ne trouve pas facilement de maison de taille suffisante à un prix raisonnable, mais en en discutant avec son banquier, celui-ci lui fait remarquer qu'une maison avec beaucoup de chambres, c'est généralement un hôtel.
Le galeriste réfléchit à cette idée, et imagine d'acheter un hôtel qui servira de galerie, tout en louant les chambres (en gardant l'activité de l'hôtel) pour rentabiliser son acquisition. La recherche aboutit plus facilement, et le galeriste réalise son projet, grâce à la remarque du banquier en cours de prospection.


Le médiateur technique doit donc être vigilant lors de sa prospection à toutes les idées qu'on lui soumet. Elles peuvent l'aider à aboutir plus facilement en lui proposant de meilleures pistes, mais elles peuvent aussi donner des idées à l'équipe du projet d'innovation qui peuvent être mises à profit pour la recherche.
La créativité est plus facile en réaction à une nouvelle idée et il serait dommage de ne pas l'utiliser en cours de route.

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